Serge Heftler-Louiche (1905 – 1959)
Industriel français, fondateur et le premier président de la Société des Parfums Christian Dior.
Serge Heftler-Louiche et Christian Dior, un parfum d’amitié.
Serge Heftler-Louiche et Christian Dior, amis d’enfance de Granville, ont créé, avec Marcel Boussac, en 1947, la Société des Parfums Christian Dior, Ce fut l’aboutissement de deux vies très denses, différentes, mais qui s’avèrèrent extraordinairement complémentaires.
Granville
Le père de Serge Heftler-Louiche était Procureur Général, Magistrat près la Cour d’Appel de Paris et avait été membre de cabinets ministériels à l’Industrie et à la Justice. De par ses fonctions, il était exempté de service actif mais avait demandé l’autorisation de se porter sur le front. Il suivait ainsi l’exemple de son père Maurice Heftler qui s’était porté volontaire dans les corps francs lors de la guerre de 1870. Le lieutenant Emile Heftler, tombera au champ d’honneur, en 1914, lors de la première bataille d’Ypres. Il sera cité à l’ordre de l’Armée.
Serge Heftler-Louiche sera dès lors élevé à Granville, au sein de sa famille maternelle ; les Louiche Loumel.
La famille Louiche est implantée de longue date en Normandie.
Jean Louiche, (sieur de) Loumel est né à Vessay en 1635 ; Cette branche de la famille accolera le nom de Loumel, comme il est est de tradition de porter le nom d’une terre pour se différencier des autres branches.
François Louiche (sieur) du Boisbourdin est né à Vessay en 1689.
René Louiche, (sieur) des Fontaines est né à Tremblay en 1750. Botaniste, il dirigera le Museum d’Histoire naturelle à Paris ; Membre de l’Institut, il deviendra Président de l’Académie des Sciences.
Elle était depuis longtemps active dans la Magistrature : l’arrière grand père de Serge Heftler-Louiche était conseiller auprès de la Cour d’Appel et son grand père avait été nommé par le Prince de Monaco, Conseiller à la Cour de Révision, la plus haute juridiction de la Principauté. Sa mère se remariera avec le comte Robert Talon de Montal dont la famille compta de nombreux magistrats, dont l’Avocat Général Omer Talon au XVIIème siècle.
Elevé par ses grands-parents, Serge Heftler-Louiche en portera aussi le nom.
La famille Dior était elle aussi implantée de longue date en Normandie ; elle habitait au XVIIème siècle à Savigny le Vieux, non loin de Vessay et de Loumel.
Au XIXème, elle est devenue très active dans l’industrie des engrais et plus tard en politique : Lucien Dior fut Président du Conseil Général de la Manche, député, et ministre de l’Industrie dans les gouvernements Briand et Poincaré.
Les deux familles décidèrent à la fin du XIXème siècle, de s’installer, non loin l’une de l’autre, sur les falaises surplombant la citadelle de Granville.
C’est là que seront élevés ensemble Serge Heftler-Louiche et Christian Dior.
Christian Dior a souvent évoqué cette « amitié indéfectible qui s’est forgée sur les falaises de Granville qui sentent le varech et l’œillet sauvage ».
Ils ont à peine quatre mois d‘écart : ils apprirent à parler et à marcher ensemble ; Ils se sont toujours très bien entendus, même si l’un était plutôt rêveur et l’autre plutôt sportif.
Serge Heftler-Louiche fut, dans sa jeunesse, un sportif de haut niveau ; Il connut ensuite une réussite précoce comme banquier, industriel et entrepreneur.
Il pratiqua l’escrime à l’Automobile Club et au Cercle Militaire où il affrontait Lucien Gaudin qui fut médaille d’or aux Jeux Olympiques
Il participa aux championnats d’Europe et terminera, à 19 ans, 1er de la finale de préparation olympique de 1924 ; il fut sélectionné pour les Jeux Olympiques de 1928.
Banquier précoce, il entra en 1927, à l’âge de 22 ans à la Société Financière Générale dont il devint Directeur adjoint.
Il y conseille François Coty.
Celui-ci lui demandera en 1931, d’intégrer son Groupe. La Société des Parfums Coty était alors la première société de parfums dans le monde. Sénateur, François Coty possédait également Le Figaro.
Serge Heftler-Louiche devint successivement Directeur Financier des Parfums Coty, Directeur Général, Vice-Président du Conseil d’Administration et Administrateur délégué du Groupe. Il était devenu, dira Christian Dior « le collaborateur principal de l’homme à qui la parfumerie française doit son essor et son prestige mondial ».
Serge Heftler-Louiche, à la mort de François Coty, décide de lancer ses propres sociétés : il crée la société Cadoricin, « la Brillantine », qu’il vendra à l’Oréal, la société des rouges à lèvres Louis Philippe, ou encore la Société Française de Distribution, qui distribuera, en France, les marques étrangères de cosmétiques les plus prestigieuses comme Peggy Sage, alors la première société mondiale de vernis à ongles.
Pendant la guerre, il est fait prisonnier ; il réussira à faire évader avec lui la plupart des hommes de sa compagnie ; Il rejoindra ensuite une autre unité opérationnelle.
Démobilisé, il partage son temps jusqu’à la fin de la guerre, entre Monaco, Paris et Pau où s’est repliée sa famille.
Monaco
Il crée en 1941 à Monaco, le Consortium Méditerranéen de Parfumerie, une société consacrée à a production de cosmétiques ; elle était installée le long du port.
Monaco lui était familier : son grand père y avait été longtemps magistrat et sa mère y résidait.
Il est l’un des membres fondateurs de la Croix Rouge Monégasque.
Le Prince de Monaco le nomma Administrateur délégué de la SBM, la Société des Bains de mer de Monaco. Jean Louis de Faucigny Lucinge écrira avoir accepté le poste de Président de la SBM, « parce que en premier lieu, était nommé Administrateur Délégué, un homme sûr et compétent, Serge Heftler-Louiche »
La vie de Christian Dior suivait, à cette époque, une route très différente
Il intégre d’abord l’École des Sciences Politiques, mais sa vie étudiante sera, en fait, plutôt une vie de Bohème.
Il fréquente assidument le « Bœuf sur le toit » où se réunit toute l’avant-garde artistique de l’époque.
Il conservera toujours des liens d’amitié très forts avec Jean Cocteau, Christian Bérard, Henri Sauguet ou Pierre Gaxotte.
Il ouvrit, à 23 ans, successivement, deux galeries de tableaux. Il y présente des œuvres de Raoul Dufy, Giorgio de Chirico, Alexander Calder, Balthus, Alberto Giacometti et Paul Klee. Elles seront assidument fréquentées par Gertrude Stein.
La crise de 1929 l’oblige à cesser cette activité. Il décide alors de tirer parti de ses talents de dessinateur et devient illustrateur au Figaro. Il vendra ses croquis à Patou, Nina Ricci, ou Schiaparelli, puis rentra chez Robert Piguet et enfin chez Lucien Lelong.
La création de la Société des Parfums Christian Dior
Serge Heftler-Louiche et Christian Dior ne s’étaient jamais perdus de vue : ils se retrouvaient régulièrement à Granville. Leurs bureaux à Paris, rue de La Boétie étaient voisins.
Si ils eurent tous les deux un parcours différent c’est leur complémentarité même qui sera à l’origine de leur association.
Lorsque Christian Dior accepte la proposition de Marcel Boussac de financer sa propre maison de couture, Serge Heftler-Louiche lui suggère de son côté de créer en parallèle la Société des parfums Christian Dior. Christian Dior rapporte dans ses mémoires que son « plus vieil ami, Serge Heftler-Louiche, avant même l’ouverture de la maison, me proposa de créer la Société des Parfums Christian Dior. Sa longue expérience en la matière, jointe au fait qu’il était un compagnon de ma plus tendre enfance, me fit accepter tout de suite » ; « Les deux amis se mettent alors d’accord pour garder la majorité des actions de la société. Marcel Boussac en sera le commanditaire et le financier. Les négociations entre Marcel Boussac et Serge Heftler-Louiche furent menées rapidement ; La Société des Parfums Christian Dior fut créée en 1947, distincte de celle de la couture. Christian Dior détient 25% du capital, Serge Heftler-Louiche 35% et Marcel Boussac 40%. Les deux amis d’enfance avaient voulu disposer ainsi, à eux deux, de la majorité du capital de la nouvelle société et que la Présidence et la Direction soient assurées par Serge Heftler-Louiche. Celui-ci en devenait Directeur exécutif et Président statutaire à vie, « concentrant ainsi entre ses mains, et de manière inamovible, la direction de la société jusqu’à sa mort en 1959 ».
Les Parfums Christian Dior connaissent, dès 1947, un succès fulgurant, à l’aune de celui que connaitra la collection « New-Look » présentée la même année. « Miss Dior » est lancée en 1947, l’« Eau Fraîche » en 1952 et « Diorissimo » en 1956.
Miss Dior fut créé par Paul Vacher ; son accord floral révolutionna la parfumerie comme le New Look révolutionna le monde de la Mode. C’est Edmond Roudniska qui élabora l’Eau Fraîche et Diorissimo. Il est, encore aujourd’hui, considéré comme un des compositeurs de parfums ayant marqué le plus l’Histoire de cette industrie. Il participa activement et pendant très longtemps à la création des Parfums Christian Dior.
Il rappelle, dans ses souvenirs, combien les parfums furent le fruit d’une collaboration étroite avec les deux amis.
Il raconte sa première rencontre avec Serge Heftler-Louiche fin 1946 ou début 1947; « Il comprenait plus que quiconque le sens profond d’un parfum ». « Serge Heftler-Louiche avait été dans sa jeunesse Directeur général des Parfums Coty et avait une véritable vénération pour François Coty ; il avait été fortement marqué par lui et admirait, comme moi, le Chypre de Coty d’où la composition qui fut faite pour lui faire plaisir d’Eau Fraîche ; L’eau Fraîche sera une des rares notes encore chyprées aujourd’hui. »
Edmond Roudniska fit la connaissance de Christian Dior « au cours d’une présentation de collection ou à l’occasion d’un lancement de parfum » ; « la sympathie fur réciproque » ; dès le premier contact, il fut séduit par sa finesse et sa culture ; « Ce qu’il disait avait du poids, de la profondeur ; nous nous comprenions à demi-mot. » Il eut même l’impression d’une certaine complicité entre eux lorsqu’il lui arriva de tenir tête à Serge Heftler-Louiche … « qui devait bien tyranniser Christian Dior de temps à autre… ».
Diorissimo a été réalisé grâce à une longue étude sur le muguet ; C’était l’effluve de la fleur mais transposée sur le plan d’un parfum que pouvait porter une femme ; un contexte de sous-bois, de fraîcheur, de verdure, suscitant des facteurs psychologiques évoquant le printemps et la jeunesse. Il résultait d’une révolution, d’une rigueur nouvelle, et avait une structure de formulation inédite jusque-là.
« C’est Christian Dior qui a conçu le flacon, qui sera réalisé en cristal de Baccarat. Il dessina aussi le bouchon bouquet à la feuille d’or. »
Christian Dior demanda à René Gruau d’illustrer les campagnes publicitaires de Dior. C’était un ami de longue date et il avait travaillé pour les parfums de Lucien Lelong.
La complicité entre les deux amis se manifestera en permanence, que ce soit dans l’élaboration des parfums, le design des flacons, les campagnes de publicité ou les opérations de promotion.
« Personne ne pouvait alors prédire que ce succès allait s’inscrire dans la durée et devenir planétaire » ; La filière des parfums et des cosmétiques se placera rapidement au deuxième rang des secteurs exportateurs français, après l’aéronautique. Dès 1958, les Parfums Christian Dior sont présents dans 115 pays.
Serge Heftler-Louiche à été décoré de la Légion d’Honneur en 1952. Antoine Pinay, Ministre des Finances, décerna en 1958, à Serge Heftler-Louiche, l’oscar des exportations de la France. Il le nomma, la même année, Conseiller au Commerce extérieur de la France.
Serge Heftler-Louiche meurt en 1959, deux ans après la disparition de Christian Dior.
L’importance du milieu familial
Serge Heftler-Louiche disait que la réussite de tout produit dépendait de la connaissance intime de son époque ; C’est pourquoi il attachait beaucoup d’importance à son cadre familial et à son entourage proche : De fait, celui-ci sera très représentatif d’une époque et ce, dans des domaines extrêmement variés.
Marié à Jeanine Rosambert dont le père était homme d’affaires et collectionneur, il eut deux filles et un fils ; ce dernier eut pour parrain Christian Dior, ancrant encore plus leur amitié.
Sa sœur Denise épousa Robert Gheusi : la famille Gheusi est liée à celle de Gambetta. Proche du Maréchal Galliéni, ami d’Emile Zola, son père, Pierre Barthélémy Gheusi dirigea l’Opéra-Comique. Il fut chargé par François Coty de fusionner le Figaro avec le Gaulois. Ses mémoires, Cinquante Ans de Paris, sont un document très précieux sur la vie politique et mondaine sous la IIIe République. Elle se remariera avec Pierre Dupas, Président du groupe Fould Springer et du golf de Fontainebleau.
Sa belle-sœur Suzanne épousa l’avocat d’assises Henry Torrès, député et membre du Conseil de la République. Il fut le mentor de Robert Badinter. Pendant la guerre, elle créa à New York, grâce à Florence Conrad, le Groupe Rochambeau : un corps d’ambulancières, appelées très vite « les Rochambelles ». Rattaché à la 2ème division blindée du Général Leclerc, le groupe fera la campagne de France et ira jusqu’à Berchtesgaden. C’est là qu’elle rencontrera celui qui allait devenir le général d’Armée Jacques Massu avec qui elle se remariera. Gaulliste historique, Compagnon de la Libération, il œuvra en mai 1958 pour le retour du Général De Gaulle à la tête de l’État. Elle fut la marraine du fils de Serge Heftler-Louiche.
Son autre belle-sœur, Colette, gagna, en 1934, la finale des Internationaux de France de tennis à Rolland Garros, en double mixte avec Jean Borotra. Elle épousa Philippe Boegner, qui dirigea Match et Le Figaro ; il était un des fils du Pasteur Boegner, président de l’Eglise Réformée de France.
Son cousin, Jean Richard Deshais fut administrateur de la Régie Renault et Président du Cercle de l’Automobile Club de France.
Son oncle Victor Heftler (X 1898) s’installa aux États Unis, à Détroit ; proche d’Henry Ford, il fut à la source de nombreuses innovations technologiques concernant l’industrie naissante de l’automobile. Un de ses fils, Pierre Heftler, fut l’avocat personnel de la famille Ford. Un autre, Benoît Heftler, participa au projet Manhattan à Los Alamos.